24 février 2013

[vidéo] Musique, web et nouvelles pratiques d'écoute sociale

Une table ronde sur les pratiques d’écoute musicale à l’heure du web social a été programmée le 19 février dans le cadre de la Social Media Week (18-22 février 2013, Paris).
L’évènement organisé par Rémi Prieur (Consultant PR, La Netscouade) et présenté par William Réjault (journaliste), réunissait plusieurs acteurs de l'industrie musicale et du numérique :
  • Guenael Geay, Directeur Marketing International, Universal Music France / Polydor
  • Yann Thebault, Directeur Général Europe du Sud, Spotify 
  • Antoine El Iman, Co-fondateur, Noomiz 
  • Guillaume Jouannet, Co-fondateur, Evergig 
"Quels sont les nouveaux usages et les nouvelles expériences musicales rendues possibles par le digital ? Quelles stratégies mettent en place les acteurs traditionnels du monde de la musique ? Quelles interactions existent avec les « pure players » de la musique sur le web ?"


source : Social Media Week

Notes prises en visionnant la vidéo.

William Réjault, l'animateur de la table-ronde pose des questions successivement aux 4 intervenants :

Yann Thebault : Chez Spotify l’aspect social est prépondérant. Ça fait partie de notre ADN. On insiste beaucoup sur cet aspect là. Aujourd’hui la plupart des gens font confiance à leur réseau pour découvrir de nouvelles musiques, grâce à l’intégration que l’on a avec Facebook. La découverte musicale personnalisée était une demande forte. On a décidé de placer la découverte musicale au centre de l’application. On a mis en place un onglet découverte. Il y a un nouvel onglet : l’onglet follow qui permet de s’abonder à des profils d’artistes, de célébrités, d’influenceurs. Lady Gaga est présente, elle a la possibilité de communiquer avec ses fans, sur la sortie d’un nouvel album, par notification sur le mobile, ou sur coup de cœur en envoyant une playlist. L’enjeu est de permettre à des artistes de communiquer plus intensément avec leur fanbase. Spotify est à la fois au service des utilisateurs et des artistes. Il y a plus de 60 applications sur Spotify (par exemple : le label Blue Note.) Les gens nous sollicitent avec leurs idées. Nous sélectionnons les projets. Nous veillons à ce qu’il n’y ait pas trop d’applications sur la même thématique pour offrir un service assez large.
Question : Comment les artistes utilisent les réseaux sociaux ? 
Réponse de Guenael Geay : Chez Universal nous avons 2 artistes qui fonctionnent à l’opposé : L’une communique beaucoup : Lady Gaga. L’autre ne communique pas : Mylène Farmer
Question : Comment fait-on dans une maison de disques avec un artiste qui choisit de communiquer lui-même ou de ne pas communiquer du tout ? 
Réponse de Guenael Geay : Lady Gaga (qui a 26 ans) est une artiste internationale>. Elle a son label Interscope, sur lequel on a pas la main. Elle dit : « Je suis une marque. Travaillez-moi comme une marque ». Son principe : parler en direct avec ses fans, les abreuver de messages, d’informations. Mylène Farmer, c’est l’opposé : c’est le culte du mystère sur le principe de « Less is more ». Elle considère que ses fans véhiculent mieux les idées et les principes qu’elle-même. L’omniprésence de l’artiste comme avec Lady Gaga comporte un risque de burn-out : l’artiste peut se brûler en 3, 4 ans. Ça dépend de la fréquence : on peut être extrêmement communiquant à une période donnée et ralentir la cadence à une autre. Il y a besoin de respirer à un moment donné et de marquer des temps de pause.
Question : Est-ce que vous, maisons de disques, servez encore à quelque chose ? Quel est votre rôle en 2013 ? 
Réponse de Guenael Geay : Le rôle d’une maison de disque est vaste : la distribution, la promotion, le marketing, il y a plusieurs rôles. Une artiste comme Lady Gaga, dont 75% de son chiffre d’affaire est fait grâce aux ventes physiques a tout intérêt à être en maison de disques. Ce support là, elle ne pourra pas l’avoir en étant toute seule. Par contre est-ce qu'un artiste qui décide de faire uniquement du digital a vraiment intérêt à travailler avec une maison de disques ? Tout dépend des connaissances qu’il a du marché. Est-ce qu’il a son propre réseau ? Est-ce qu’il sait comment travailler un disque pour qu’il passe en radio ? A-t-il les bons contacts en presse ? A-t-il a un tourneur ? A-t-il a un bookeur ? Toutes ces choses font qu’un artiste existe. S’il n’a pas tout ça oui, oui il a besoin d’une maison de disques.

Présentation de Noomiz par Antoine El Iman : Le rôle de Noomiz est de détecter de nouveaux artistes, d’aider les artistes à être sur les réseaux sociaux. On travaille essentiellement sur Facebook via des applications, avec une activité de social marketing. Construire des expériences pour les fans qui vont permettre de promouvoir un artiste et ses produits (albums, concerts), ou de créer de la valeur chez le label, en incitant les fans à s’inscrire à des newsletters (un canal de transmission de l’information au consommateur ultra efficace). Viraliser (Faire buzzer) un message, et collecter des data via un jeu concours ou la mise à disposition d’un contenu exclusif. (ex. La Fouine / Sony  )
Question : Comment gagner de l’argent avec le social gaming ?
Réponse : avec les revenus publicitaires, l’achat de biens virtuels : exemple le jeu social avec la FOuine qui s'est déroulé d’octobre 2012 à janvier 2013. Le 1er objectif était la promotion de l’album (via la page facebook) , le 2ème objectif était de générer des revenus. Le concept est simple et  s’inspirait des albums Pannini : collectionner des cartes, ici des photos ou des vidéos de l’artiste. Pour les gagner, les fans doivent jouer à une galerie de mini-jeux. Possibilité d’échanger les cartes avec d’autres joueurs et possibilité d'achat de biens virtuels.
Question : Tu penses que ça pourrait marcher avec de la vraie musique ? (ironie)
Réponse : Pour cette opération, il nous fallait un artiste qui ait plus d’un million de fans. On s’est posé des questions : Est-ce que ses fans sont prêts à rentrer dans un principe de collection ? Qu’est-ce qu’on donne, qu’est-ce qu’on demande aux internautes. On réfléchit à cette transaction pour qu’elle soit acceptable, qu’il y ait du consentement naturel. Résultat : 130 000 joueurs ont participé.

Guillaume Jouannet présente Evergig : « Ce soir le concert est filmé par vous ». L'idée est de demander au public de filmer. C’est parti du constat que les gens filment, les gens veulent avoir un souvenir du concert par des photos, vidéos.
Exemple.: le concert de The Young Professionals au Trianon. Plus de 360 vidéos ont été récoltés. Cela suppose des accords avec Universal, Sony, Warner. On reçoit la bande-son HD du concert. Toutes les vidéos sont synchronisées.
Question : Quel a été l'accueil par les majors ? 
Réponse : Très bon accueil. Car il y a valorisation : on améliore l’expérience de l’utilisateur. La présence de l’artiste est valorisée avec des contenus UGC. Les artistes restent propriétaires du master final.
Quels revenus pour les musiciens ? 
Les revenus sont générés par la publicité L’idée est de créer du lien entre l’artiste et les fans par le Live. Participer à une œuvre impliquante et collaborative. Evergig a la préoccupation de respecter aussi les gens qui ne filment pas. Baisser la luminosité des appareils qui filment (éviter de filmer avec des tablettes). Evergig sera bientôt ouvert aux artistes non-signés. Une vidéo Evergig peut être une carte de visite pour les artistes émergents.

Question à Yann Thebault (Spotify) à propos de la rémunération faible des artistes sur Spotify. 
Réponse : 500 millions de dollars ont été reversés aujourd’hui aux ayants-droits depuis la création de Spotify. Le service est encore récent. Les revenus vont augmenter avec l’arrivée de nouveaux utilisateurs.
Question : Imaginez-vous des exclusivités sur Spotify ? Un album inédit ? 
En Suède le groupe Cazzette a décidé d’être distribué exclusivement sur Spotify. Il est arrivé n°10 du top Billboard grâce à une présence sur Spotify. Spotify propose des pages biographiques. Mais notre démarche est de répondre à l’attente des consommateurs via l’analyse de ce qu’ils écoutent. La découverte musicale est maintenant centrale chez Spotify. En fonction de qui vous écoutez, de qui vous suivez, de qui vous êtes fans, qu’on va pouvoir vous proposer la meilleure musique qui répond à vos attentes.
Guenael Geay : En 2013, même si des artistes se plaignent, on ne peut plus faire sans le digital, sans le streaming, on a plus le choix. C’est l’endorsement (utilisation d’une personnalité ou d’une célébrité pour véhiculer l’image d’un produit, d’un évènement  d’un service ou d’une marque.), le merchandising. La musique est une clé pour accéder à d’autres sources de revenus, mais n’est plus une source de revenus en tant que telle. Les gains du streaming sont faibles, mais supérieurs au téléchargement illégal. Le streaming donne l'avantage de l’exposition, c'est un moyen d’avoir de la visibilité. Il faut envisager le partenariat, ou le sponsoring. C’est aux artistes de revoir le métier. Les deals que l’on a aujourd’hui avec les artistes ne sont pas les mêmes qu’il y a 10 ans.

Question : Antoine , tu travailles avec des artistes qui ne sont pas signés (par un label), qu’est-ce que tu leur proposes ? 
Antoine El Iman : La plateforme Noomiz fournit des outils digitaux à des artistes (98% des 25 000 artistes présents sur Noomiz n’ont pas de label, ou de tourneur). En 2008, 2009 lorsque l’on a vu que MySpace commençait à décliner, on s’est dit qu’il y avait quelle chose à faire. On propose aux artistes, une page Web très simple à faire, sans aucune notion de code, sans aucune notion de design pour diffuser leur musique avec une URL qui leur est propre. Ensuite, on s’est dit qu’on ne voulait pas faire de Noomiz un carrefour d’audience. Facebook explosait et autorisait des développeurs de sociétés tierces à implanter dans Facebook des applications. On a donc proposé aux artistes de Noomiz de présenter leur musique sur Facebook parce que le public était là massivement. On a créé des players exportables particulièrement adaptés à Facebook . ça c’étaient les premiers services que l’on proposait aux artistes. On allait les recommander : pas juste aux gens qui écoutent de la musique, parce que ces gens là vont sur Spotify et sur Deezer. Mais les recommander en s’adressant à des gens qui aiment découvrir la musique avant les autres, on adresse à cette petite niche de gens qui aiment être en avance, c'est le cas notamment des professionnels, car leur métier est de faire découvrir la musique au plus grand nombre. On a une technologie qui analyse ce que les gens écoutent sur Noomiz, qui analyse les signes d’adhésion (plus que des volumes) : s’ils écoutent jusqu’au bout, s’ils réécoutent, s’ils partagent, s’ils mettent dans des playlists, etc. On a personne pour éditorialiser, pour dire voilà la bonne musique pop d’aujourd’hui, en revanche on va vous recommander la musique que ceux qui aiment la pop ont aimé ces derniers jours.

Question à Guenael Geay : Qu’est-ce qui a changer en 2013 ? Qu’est-ce qui est vraiment utile pour ton travail et qui n’existait pas il y a 12 ans ? Qu’est-ce qui reste à développer ?
Guenael Geay : Tout est devenu plus technologique et digital. Pas de Blackberry, pas d’Iphone. On a inclus le digital dans nos plans. Le travail avec les marques. On inclut le 360 (tournée, merchandising). La forme a changée ; le fond reste le même.

Question à Yann Thebault : Quelle prospective pour Spotify ? Que sera Spotify dans 10 ans ? 
Yann Thebault : Chez nous, sur les 18-24 ans, on a réussi à faire baisser le téléchargement illégal. Les modes de consommation évoluent. La propriété n’est plus vraiment à l’ordre du jour. L’idée est de faire écouter de la musique en la louant et la partager facilement. A terme, tout le monde aura accès à sa musique depuis son téléphone portable.
Question : Comment tu utilises Spotify ? Est-ce que tu partages ? Est-ce que tu veux que tes amis sachent que tu as écouté le dernier Madonna ? 
Yann Thebault : J’essaye de montrer l’exemple. j’assume ce que j’écoute. J’ai des enfants, donc parfois ça peut prêter à confusion. C’est une manière sympa de s’ouvrir et de faire partager le plus de choses possibles. Ensuite avec l’écoute privée, on a aussi la possibilité de ne pas partager tout ce qu’on écoute. Libre à chacun de faire comme il veut.

Question à Antoine El Iman : Comment réagissent les artistes, quand on leur dit ; on va créer des applications pour faire découvrir ta musique ? On est très loin du métier d’artiste. 
Antoine El Iman : La perception de l’artiste est très variable. Certains embrassent les nouvelles technologies, s’impliquent sur les réseaux sociaux et sont plutôt en demande. Avec ceux-ci on va faire des opérations sur mesure. Exemple : Zazie ou Lilly Wood & The Prick.

Question à Guenael Geay : A part vendre des disques est-ce que le retour (feedback) des fans a un intérêt artististique ? 
Guenael Geay : Complètement, ça a changé la manière dont on produit. Les gens vont plus vite dans leur manière de consommer, d’appréhender, de découvrir la musique. Les gens veulent de la nouvelle musique, ils sont plus éclectiques. Il y a moins de chapelles, moins de barrières, qu’il y a 10 ans. Passer de la dance au rock c’était plus compliqué que ça ne l’est aujourd’hui. Au final, on est amené à produire beaucoup plus vite et beaucoup plus souvent. Plus on laisse de temps entre deux albums, plus les gens zappent, passent à autre chose. On perd le momentum. C’est beaucoup plus difficile pour un artiste aujourd’hui d’avoir une carrière sur le long terme. Quand on regarde les meilleures ventes de disques sur les dernières années on s’aperçoit que dans le top 20 : aucun artiste a plus de 10 ans de longévité. Il n’y a que des artistes qui on moins de 3 ans de carrière. Les artistes suivent leurs fans, voient les commentaires, choisissent le single en fonction. La musique c’est créer, mais y a une grosse partie qui consiste à répondre à une demande. Beaucoup d’artistes qui fonctionnent répondent simplement à une demande.

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Cette question des nouvelles pratiques sociales de la musique à l'heure des médias sociaux sera également au programme d'un atelier lors des prochaines Rencontres Nationales des Bibliothécaires Musicaux organisées par l'ACIM à Bordeaux / Mérignac, les 25 et 26 mars prochains. 
Nous en reparlerons prochainement.